Premier signalement de Gymnocoronis spilanthoides en France (Sarthe)

 In A surveiller de près

Gymnocoronis spilanthoides – Photo : Fabien Dortel (CBN Brest)

Le Faux hygrophile, Gymnocoronis spilanthoides, est une astéracée originaire des zones tropicales et subtropicales d’Amérique latine. Cette plante aquatique est commercialisée dans le monde entier en tant que plante d’aquarium et d’ornement aquatique depuis la seconde moitié du XXe siècle (Ardenghi et al., 2016). En Australie, G. spilanthoides a été reconnue comme espèce exotique envahissante après avoir été introduite depuis l’Inde dès le milieu des années 1970. L’espèce est également considérée comme envahissante dans plusieurs autres pays (CABI Datasheet, 2019).

L’analyse du risque phytosanitaire réalisée par l’OEPP indiquait que G. spilanthoides présente un risque élevé pour les régions de l’OEPP, ce qui a conduit en 2016 à son ajout à la liste des organismes nuisibles que l’OEPP recommande de règlementer comme organismes de quarantaine (OEPP, 2021). En 2019, elle a été ajoutée à la liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union Européenne (Règlement d’exécution (UE) 2019/1262), en application du règlement européen n°1143/2014.

En Europe, l’introduction de G. spilanthoides est mentionnée pour la première fois en 1988 dans le lac thermal de Hévìz, en Hongrie, dans un objectif d’acclimatation et de vente sur les marchés occidentaux (Lukács et al., 2014). L’espèce a été signalée depuis en 2015 dans des canaux en Italie (Ardenghi et al., 2016), puis plus récemment en 2019 aux Pays-Bas, où elle serait établie depuis quelques années (van Valkenburg & Odé, 2020).

 

Une première mention pour la France

Fig.1 : Localisation et surface des foyers de Gymnocoronis spilanthoides sur la rivière Sarthe – Crédits : CEN Pays de la Loire

Le 11 août 2022, Francis Zanré, un botaniste sarthois, a signalé au Conservatoire Botanique National de Brest (CBN de Brest) la découverte d’une population de Gymnocoronis spilanthoides s’étendant sur près de 50 m² d’une berge vaseuse de la rivière Sarthe, en aval de l’écluse de Chaoué au Mans (Sarthe, Pays de la Loire).

Appuyé par des photographies présentant les critères de détermination de l’espèce et provenant d’un botaniste confirmé, le signalement a été validé par le CBN de Brest qui a déclenché le dispositif “Détection précoce et réaction rapide” du réseau EEE des Pays de la Loire. Le Conservatoire d’espaces naturels des Pays de la Loire (CEN Pays de la Loire), accompagné du service départemental de l’Office Français pour la Biodiversité (OFB), s’est rapidement rendu sur place pour prospecter et cartographier les populations présentes dans ce secteur du cours d’eau. Une cinquantaine de foyers secondaires de l’espèce ont été découverts sur un linéaire de 20 km en aval du Mans. Une cartographie plus complète est en cours d’élaboration (fig. 1). Un diagnostic des végétations colonisées est en cours avec le Conservatoire botanique.

A notre connaissance, il s’agit de la première mention de l’espèce hors site cultivé pour la métropole.

Description de Gymnocoronis spilanthoides

Il s’agit d’une plante herbacée aquatique pérenne pouvant arborer différentes formes : complètement immergée dans des eaux peu profondes, formant des tapis flottants fortement enchevêtrés ou prenant un port érigé buissonnant et atteignant ainsi jusqu’à 1,5 m de haut.

Elle peut produire des tiges de plus de 2,50 m de longueur. Les tiges sont vert pâle, de section ronde ou présentant six ou huit angles, dressées ou rampantes, pouvant atteindre 1,5 m de longueur et 20 mm de diamètre, avec des entre-nœuds creux, gonflés et flottants (EPPO, 2017).

Radeau de Gymnocoronis spilanthoides – Photo : Guillaume d’Hier (CEN Pays de la Loire)

Population présente sur le perré de l’écluse – Photo : Guillaume d’Hier (CEN Pays de la Loire)

Les feuilles sont opposées et pétiolées, dentelées à bords ondulés, à nervures pennées. Le limbe est de forme lancéolée ou ovale, pouvant mesurer de 50 à 200 mm de longueur sur 25 à 75 mm de largeur.

Fleur de Gymnocoronis spilanthoides – Photo : Guillaume d’Hier (CEN Pays de la Loire)

La fleur est un capitule discoïde, à fleurons blancs (ou rosâtres), de 3,5 à 4 mm de long, sous-tendus par une seule rangée de bractées involucrées vertes, de 15 à 20 mm de diamètre, très parfumées et très attractives pour les papillons.

L’espèce peut se reproduire par graines, après pollinisation de ses fleurs par les insectes, ainsi que par fragmentation végétative. Ses fruits sont très persistants, restant viables pendant environ 3 ans lorsqu’ils sont à moitié enterrés ou situés à la surface du sol, et jusqu’à 16 ans s’ils sont complètement enterrés (Panetta, 2009)

La fertilité serait à vérifier pour la métropole, mais ses conditions climatiques semblent favorables, particulièrement celles de l’été 2022. En Lombardie, les graines sont matures à partir du mois d’août et les tests de germination de Ardenghi et al. ont montré une très bonne viabilité de la plante aux températures alternées de 15/5 °C (67 %) et 25/15 °C (68 %), avec apport de lumière en phase chaude.

Habitat

Gymnocoronis spilanthoides se développe dans les milieux d’eau douce, cours d’eau, plans d’eau et zones humides, dans des eaux stagnantes ou faiblement courantes, comme les étangs, les ruisseaux, les canaux, systèmes d’irrigation et de drainage.

Risque de confusion

Parmi les autres espèces du genre Gymnocoronis, seul G. spilanthoides serait présent en dehors du continent américain et présenterait un caractère invasif.

En tant qu’espèce aquatique à fleurs blanches, G. spilanthoides pourrait potentiellement être confondu avec une autre espèce introduite, Alternanthera philoxeroides, Les fleurs sont cependant plus compactes, les pétales plus courts et les feuilles plus courtes chez cette dernière (EPPO, 2017).

 

Situation observée sur la Sarthe

Sur la Sarthe, Gymnocoronis spilanthoides montre une population vigoureuse et parfaitement amphibie, avec un recouvrement avoisinant les 100 % depuis le perré de l’écluse de Chaoué jusqu’à la partie aquatique. Sur la partie supérieure, les quelques plantes compagnes sont caractéristiques des berges vaseuses exondées du Bidention tripartitae (essentiellement Bidens frondosa) et, sur la partie inférieure, une mosaïque de végétations flottantes (voiles à Lemna minor et Spirodela polyrhiza, rattachables au Lemnion minoris) et enracinées (Nuphar lutea, Ceratophyllum demersum, rattachable au Nupharetum luteae). Sur certaines stations, l’espèce est en concurrence avec Rorippa amphibia, voire non enracinée, bloquée par des embâcles, branchages ou ronciers.

Gymnocoronis spilanthoides, Bidens frondosa et Nuphar lutea sur la rivière Sarthe – Photo : Fabien Dortel (CBN Brest)

Les botanistes consultés indiquent qu’il est possible que la plante puisse coloniser d’autres biotopes moins humides que ceux observés ici car sur la station de Chaoué, le perré empêche le développement de la plante sur une topo séquence riveraine complète.

 

Statut règlementaire

En application de la règlementation européenne, l’Arrêté du 10 mars 2020 portant mise à jour de la liste des espèces animales et végétales exotiques envahissantes sur le territoire métropolitain interdit son l’introduction sur le territoire national, sa détention, son transport, son colportage, son utilisation, son échange, sa mise en vente, sa vente ou l’achat de tout spécimen vivant, selon les conditions de l’article L.411-6 du Code de l’environnement.

Il est également à noter qu’avant même la mise en place de ces interdictions, Gymnocoronis spilanthoides avait déjà été identifiée par Brunel (2009) parmi diverses espèces comme présentant des risques potentiels modérés à élevés sur le territoire de l’OEPP. Elle a été inscrite sur la liste de consensus du Code de conduite professionnel relatif aux plantes exotiques envahissantes en 2017 (Cambron et al., 2017) et sur la liste des organismes nuisibles recommandés à la règlementation comme organismes de quarantaine par l’OEPP depuis 2016 (OEPP, 2021).

 

Capacité d’établissement et impacts potentiels

Sa croissance facile et vigoureuse et ses fleurs blanches odorantes font de G. spilanthoides une plante d’aquarium et d’étang très appréciée en aquariophilie, augmentant ainsi son risque d’introduction en milieu naturel (Hussner, 2012). En dépit de la règlementation la concernant, plusieurs sites de vente en ligne continuent de la commercialiser en France.

Bien que G. spilanthoides ait une aire de répartition indigène tropicale à subtropicale, les populations introduites présentent une large tolérance climatique et réussissent à s’établir en culture bien en dehors de son aire de répartition naturelle. La croissance rapide de l’espèce peut entrainer la formation de tapis flottants pouvant progressivement recouvrir les plans d’eau colonisés (Ardenghi et al., 2016). Dans les sites colonisés par G. spilanthoides, les espèces indigènes peuvent progressivement disparaitre. Les tapis denses de l’espèce peuvent bloquer les écoulements de canaux de drainage, créant des inondations, mais également affecter les activités récréatives et l’irrigation (WeedsAustralia, 2011).

 

Actions de gestion à prévoir

Un comité technique se réunira début octobre pour identifier les actions à mener.

L’arrachage à la main peut entraîner une régénération et une propagation supplémentaire, mais peut être efficace sur de petites colonisations (Weeds Australia, 2011).

A Utrecht (Pays-Bas), plusieurs herbiers de l’espèce disséminés sur 500 m de linéaire d’un canal en zone urbaine ont été traités par un enlèvement manuel réalisé dans les zones colonisées entourées d’un treillis métallique de 5 mm de maille pour éviter toute dispersion. Les plantes ont été retirées avec l’utilisation d’un nettoyeur à haute pression permettant d’extraire des sédiments les systèmes racinaires sans les endommager et les fragments ont été repêchés. Le matériel végétal a ensuite été transporté vers une installation de compostage certifiée (EPPO, 2020 et van Valkenburg et Odé, 2020).

 

 

Rédaction : Madeleine Freudenreich (Comité français de l’UICN),
Fabien Dortel (CBN Brest) et Guillaume d’hier (CEN Pays de la Loire)

Relecture : Alain Dutartre, expert indépendant

 

Pour en savoir plus :

  • Ardenghi, N. M., Barcheri, G., Ballerini, C., & Cauzzi, P. (2016). Gymnocoronis spilanthoides (Asteraceae, Eupatorieae), a new naturalized and potentially invasive aquatic alien in S Europe. Willdenowia, 46(2), 265-273.
  • Brunel S. 2009. Pathway analysis: aquatic plants imported in 10 EPPO Countries. Bulletin OEPP/EPPO Bulletin 39, 201–213. DOI: 10.1111/j.1365-2338.2009.02291.x
  • CABI Datasheet. 2019. Gymnocoronis spilanthoides (Senegal tea plant). En ligne : https://www.cabi.org/isc/datasheet/26246
  • Cambron M., Capriotti T., Mommaerts C., Villard A., Manceau R., 2017. Val’hor – Code de conduite professionnel relatif aux plantes exotiques envahissantes en France métropolitaine : Gymnocoronis spilanthoides DC. En ligne : www.codeplantesenvahissantes.fr.
  • EPPO. 2017. Pest risk analysis for Gymnocoronis spilanthoides. EPPO, Paris.
  • Hussner A. 2012: Alien aquatic plant species in European countries. – Weed Res. 52: 297 − 306.
  • Lukács, B. A., Mesterházy, A., Vidéki, R., & Király, G. 2014. Alien aquatic vascular plants in Hungary (Pannonian ecoregion): historical aspects, data set and trends. Plant Biosystems-An International Journal Dealing with all Aspects of Plant Biology, 150(3), 388-395.
  • Panetta F. D. 2009: Seed persistence of the invasive aquatic plant, Gymnocoronis spilanthoides (Asteraceae). Austral. J. Bot. 57: 670 − 674.
  • van Valkenburg, J. L. C. H., & Odé, B. 2020. Smalle theeplant (Gymnocoronis spilanthoides (D. Don ex Hook. & Arn.) DC., Asteraceae), een onverwachte eerste vondst voor Nederland. Gorteria Dutch Botanical Archives, 42(1), 39-45.
  • Weeds Australia. 2011. Gymnocoronis spilanthoides. Council of Heads of Australasian Herbaria (CHAH) to the Department of Sustainability, Environment, Water, Population and Communities. August 2007, updated in December 2011. En ligne : https://profiles.ala.org.au/opus/weeds-australia/profile/Gymnocoronis%20spilanthoides
  • Zanré F. 2022. Gymnocoronis spilanthoides, astéracée nouvelle pour la France. Tela Botanica. En ligne : https://www.tela-botanica.org/2022/08/gymnocoronis-spilanthoides-asteracee-nouvelle-pour-la-france/
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